Histoire d’une Maison… de Fontenelle

A la fin du mois de septembre 2018, une grosse pelleteuse commence son travail de démolition des murs en briques de ce qui fut le principal centre d’activité non agricole de Fontenelle au cours du XX° siècle. Une page d’histoire locale disparait avec ces camions de gravats et ces amas de poutrage qui partent à la décharge.
La transformation des locaux traditionnels d’une ferme
Après la mort de Joseph SCHNOEBELEN, retraité du chemin de fer, en 1928, la maison est inoccupée. Elle est achetée par Gustave MEYER dans le but d’utiliser les bâtiments pour développer la fabrication de choucroute qu’il a commencée depuis une dizaine d’années dans une partie de la ferme familiale. Avant la guerre de 1914-1918, la choucrouterie Ballis à Chèvremont était devenue « la première choucrouterie de France » avec ses 120 ouvriers. Mais le décès du fils pendant le conflit mit fin à l’entreprise. La maison SCHNOEBELEN comporte à l’époque un petit corps de logis à l’extrémité Sud et une partie ferme au Nord, qui sera prolongée avant la guerre 39-45 par un garage pour le camion de livraison. A la place des granges et des étables au rez-de-chaussée, on dégage une partie des planchers de grenier pour installer les grandes cuves de fermentation, dont la capacité totale atteindra 140 tonnes. À l‘étage est aménagé le quai de déchargement qui ouvre sur l’extérieur, la zone de coupe et de mise en cuve ; une trentaine de chariots servent à déplacer les choux. Le corps de logis du rez-de-chaussée est transformé en atelier de menuiserie-tonnellerie pour la fabrication des tonneaux et des baquets. Le puits de maison est condamné ; il ne reste comme trace de l’ancienne occupation que la cave sous la moitié Nord du corps de logis.

Une activité en progression
La culture du chou est exigeante, mais plus rentable que d‘autres productions traditionnelles. Aussi de nombreux paysans y consacrent une partie de leurs champs les plus fertiles. La première étape est le semis de graines au potager. On utilise le plus souvent la variété dite du « chou d’Alsace » tendre et de bonne taille, adaptée à la production de choucroute. Il faut cependant protéger les jeunes pousses contre le gel par des châssis de verre. La deuxième étape, à la fin du printemps, est le repiquage en plein champ. Comme à cette époque on n’avait pas recours aux herbicides, il fallait avec la pioche faire la chasse aux herbes indésirables. Ces premiers travaux sont le plus souvent exécutés par les femmes
Si la saison a été favorable, on voit arriver au village dès la fin août les premières livraisons venues d’Alsace. Elles sont suivies en septembre de la production locale chargée sur les plateaux à rehausse. Premier passage sur le pont-bascule qui est installé près de la maison communale : on pèse le chargement complet (seul l’attelage est à l’extérieur du pont). Le plateau vide sera pesé avant le retour. Arrivés au quai de déchargement, les choux sont lancés à la main au niveau de l’étage pour être stockés dans des chariots de transport Le chou passe d’abord dans une machine de type perceuse qui élimine la partie intérieure, celle du « trognon », puis dans celle de hachage qui coupe la tête de chou en fines lamelles. Plus les brins de chou sont longs et fins, plus la choucroute sera de qualité dans sa présentation.
Le chou coupé arrive directement dans les cuves de fermentation. Elles sont faites en bois et ressemblent à d’imposants baquets pouvant contenir jusqu’à 10 tonnes de chou. Un ouvrier, muni de bottes, répartit au fur et à mesure le chou dans la cuve à l’aide d’une fourche et, à intervalles réguliers sème une couche de sel destinée à faire rendre au chou son jus. Lorsque la cuve est pleine, on place une bâche à la surface et de gros madriers que l’on surcharge avec des pierres pour exercer une forte pression sur le chou et éviter la pourriture pendant la fermentation.
La période de fermentation dure au moins trois semaines, mais dépend aussi de la température ambiante. Une couche de saumure et de mousse sur[1]nage entre les pierres. La choucroute est extraite et conditionnée dans les récipients de commercialisation. Pour la choucroute qui sera rapidement consommée, on remplit des baquets de 12,5 à 50 kg. Pour la production destinée à l’expédition par train, on la place dans des fûts qui peuvent contenir jusqu’à 100 kg.
Bien que la concurrence soit rude du fait de la proximité de l’Alsace, la production ne cesse d’augmenter des années 20 à la fin des années 50. La première production de choucroute a lieu à l’automne 1919 et progresse rapidement. De 11 tonnes en 1920, elle passe à 44 tonnes cinq ans plus tard. L’entreprise se développe régulièrement et commence à embaucher à plein temps. Les employés sont polyvalents et selon la saison, ils sont successivement : fabricants de choucroute, artisans menuisiers, ouvriers agricoles. Au début des années 40, on compte 15 salariés. Parmi ceux-ci, on re[1]tiendra la famille CHRIST de Chèvremont dont plusieurs générations travailleront dans l’entreprise et dont un cousin, Charles CHRIST, « exportera » la fabrication de choucroute dans la Sarthe où elle continue de produire.
La disparition brutale du couple Gustave et Marguerite MEYER en 1960 marquera la fin de cette activité qui a animé le village pendant 40 ans.

 

Une longue agonie
Les bâtiments abandonnés aux rigueurs et déchainements des conditions climatiques n’avaient pas la résistance des pyramides d’Égypte ! Le temps, la végétation effectuèrent leur travail de destruction inexorable. Des solutions de réhabilitation ou de remise en valeur du site ont été envisagées dans les années 80 mais n’ont pas abouti.